lundi 27 mars 2017

Mon Stradivarius, l'âme sonore

Lors du récent salon des instruments insolites dont je te parlais plus bas, j'ai eu la chance d'essayer un instrument qui me faisait de l’œil depuis un moment. La sauce a pris et j'en ai fait l'acquisition pour mon plus grand plaisir.

Chercher les origines de la scie musicale, c'est se perdre un peu dans le temps et dans l'espace.

Si tu vas sur le site de Jean-Claude Welche, tu liras "qu'il existe autant de théories sur l’origine de cet instrument qu’il existe de sites Internet sur le sujet ! Certains chercheurs disent qu’elle a été inventée par des bûcherons argentins, d’autres par les esclaves africains. Certains voient son origine dans les pays de l’est, d’autres encore dans les montagnes nord américaines. Une théorie rassemble les précédentes en disant qu’elle n’est pas apparue en en seul endroit mais simultanément dans de multiples coins de la terre." Jean-Claude Welche termine par ce qui parait logique : "la scie musicale pourrait avoir été créée par ceux-là-mêmes qui utilisent une scie dans leur quotidien, c'est-à-dire les bûcherons."
Car qui a eu l'occasion d'utiliser une égoïne a pu entendre le son produit par la lame lorsqu'elle subit une brutale torsion en se coinçant dans le bois.

Quoi qu'il en soit, tu n'as aucun moyen de savoir à quelle période la scie égoïne a connu sa première utilisation musicale.

C'est dans la deuxième moitié du XIXe siècle cependant, au bénéfice des progrès de la métallurgie, que les première véritables scies musicales ont été produites. Carl de Nys, musicologue belge, trouve la première mention de la scie dans un catalogue d'instruments de musique en 1890.
Jusque dans la première moitié du XXe siècle, la scie musicale a été utilisée dans les répertoires classiques et dans le jazz, avant d'être remplacée par deux instruments électroniques produisant le même type de sons : le Theremin (1917) et surtout les ondes Martenot (1918) dont l'usage connait un franc succès à partir des années 30.

Dès lors commence pour la scie musicale une forme de descente aux enfers : elle n'est plus jouée que par les clowns et autres artistes comiques. On n'en fait plus vraiment de la musique mais plutôt des effets sonores. De Raymond Devos - qui conclut son sketch "Le clou" par une improbable improvisation à la scie - à Gaston Lagaffe, l'instrument n'est plus vraiment, c'est peu de le dire, pris au sérieux.
Et même si elle reprend quelques lettres de noblesse dans la chanson réaliste d'après guerre, sa réputation lui colle à la peau et elle garde aujourd'hui encore cette mauvaise image.

Enfin, c'est au début des années 2000 * qu'a été développé un nouvel instrument basé sur le principe de la scie musicale : la lame sonore. Cet instrument permet de redonner un peu de noblesse à la scie musicale et lui donne un souffle nouveau.

*Edit : Errare lutinum est. Car entre-temps, j'ai fait l'acquisition d'une méthode conçue par Jacques Keller pour l'apprentissage de la lame sonore, méthode publiée en... 1950! Ce qui démontre que le développement de la lame sonore en est antérieur. D'ailleurs, l'ouvrage fait mention de commentaires de musiciens et de compositeurs dès 1949, dont Arthur Honneger qui introduisit la lame sonore dans l'orchestre pour son Antigone.


Alors comment ça marche?

La scie égoïne est une scie à bois trapézoïdale de longueur variable dont la lame est relativement souple. Pour obtenir une sonorité intéressante, il faut exercer à la lame une double courbure en forme de S (la figurine de Gaston Lagaffe basée sur un dessin de Franquin montre très bien cette courbure quoi-qu’inversée et un peu exagérée). Il "suffit" dès lors de trouver le point sensible de la lame et de la mettre en vibration soit en la frappant avec une mailloche, soit en la frottant avec un archet.
Cela fonctionne avec n'importe quelle scie égoïne, mais le plaisir de jeu (et d'écoute!) sera dépendant de ses proportions : plus la lame est longue et souple, et plus le trapèze est marqué - autrement dit plus la base est large et l'extrémité étroite - plus la scie offrira une tessiture intéressante.
Une scie ordinaire offre une octave et demi, une bonne scie musicale peut offrir jusqu'à deux octaves et demi.


La lame sonore en revanche n'a plus de la scie qu'une ressemblance de forme :
Tout d'abord, elle ne présente déjà plus de dents!
Ensuite le manche disparaît au profit d'une large palette permettant de maintenir l'instrument contre ou entre les cuisses.
Mais surtout la forme du trapèze de la lame est plus régulière et symétrique, la base très large et l'extrémité étroite, plus proche du triangle isocèle.
Tu y verras souvent apportée une poignée d'inflexion qui offre plus de confort de jeu et de maniabilité.
Une bonne lame sonore permet d'obtenir jusqu'à quatre octaves!
Scie musicale vs lame sonore (photo : http://www.thomasbloch.net/f_scie-musicale.html)



Alexis Faucomprez (photo: Salon des instruments insolites) est originaire du Nord de la France. Installé à Riorges depuis le début des années 2000, il y fabrique des lames sonores. Ses instruments et lui bénéficient d'une solide réputation!
C'est à lui que j'ai acheté ma scie musicale. Il y a apporté les modifications qui permettent à mon instrument d'approcher la musicalité des lames sonores : coupe de la lame pour modifier le ratio base/extrémité et ajout d'une poignée d'inflexion. J'ai en revanche refusé que lui soient coupées les dents (non mais!). L'archet est celui d'un violoncelle 3/4.
Ma scie devrait donc offrir trois octaves au minimum... du moins une fois que je l'aurai complètement apprivoisée!


Scie musicale Bahco "Stradivarius"  - Suède - 880mm


Pour en savoir davantage sur la scie musicale et les lames sonores, je t'invite à suivre ce reportage qui en explique la physique du son.

Et si tu doutes encore des qualités musicales qu'offre cet instrument, voici une vidéo particulièrement bluffante :






Sources consultées :


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